Chaupadi, quand les menstruations effraient le Népal

Voilà un petit moment que ça me trottait dans la tête, peut-être déjà une année entière, mais j’ai enfin décidé de me lancer (youhou) ! Ce n’est pas un grand bond en avant, ni un changement total de ligne éditoriale, mais dès aujourd’hui, avec la publication de cet article sur la tradition népalaise du chaupadi, je lance une nouvelle rubrique, peut-être une fois par mois, ou une fois tous les deux mois. Un article sur une tradition ou une histoire actuelle qui me tient à cœur pour diverses raisons dans une rubrique nommée Histoire du Jour. Parce que c’est de l’histoire mais pour autant c’est très très actuel..

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Aujourd’hui je vous parle de chaupadi, cette tradition népalaise qui consiste à exclure les femmes de leur foyer lorsqu’elles ont leurs règles. Soit environ quatre jours par mois. Où vont-elles ? Que font-elles ? Pourquoi et depuis quand les Népalaises doivent fuir leur maison pour la simple et naturelle raison qu’elles perdent du sang menstruel ?

[spoiler alert : c’est à cause d’un mec]

 A l’origine de chaupadi, un dieu maudit

Dans la mythologie hindoue, Indra, le dieu des cieux, a une vie un peu compliquée, que la religion qualifie d’héroïque, et pourtant… D’abord, il a tué Vritra, un démon. Mais ensuite, sous les conseils avisés d’un autre dieu, il tue un brahmane (il s’agit d’un mec d’une caste importante dans l’hindouisme) mais les sanctions ne se font pas attendre. Il est maudit. Pour se racheter, Indra se cache dans une fleur pendant une année pour marquer sa pénitence auprès du dieu Vishnu. Ce dernier, sensible à la volonté du dieu Indra lui conseille alors de partager sa malédiction au sein de la création divine, les victimes furent les arbres, l’eau, la terre et les femmes (comme par hasard).

« Bien qu’Indra ait été si puissant qu’il puisse neutraliser les réactions pécheuses pour avoir tué un brāhmaṇa, il accepte le fardeau de ces réactions avec les mains jointes. Il a souffert pendant un an, puis s’est purifié, il a distribué les réactions pour ce meurtre pécheur parmi la terre, l’eau, les arbres et les femmes. » 

En distribuant sa malédiction aux femmes, Indra a créé les menstruations. Et comme si perdre du sang n’était pas une sanction suffisante, il a décidé que les femmes seraient impures à ce moment-là et que quiconque les approcherait serait à son tour victime d’une malédiction plus ou moins horrible. Alors, depuis ce jour, dans le Nord et l’Ouest du Népal, les femmes ont été exclues de leurs foyers. Il s’agit d’une légende, évidemment, pour autant, en 2017 et après des siècles de pratique, le chaupadi existe toujours.

 Les menstruations, de la malédiction à l’exclusion

Dhuna Devi Saud prepares to sleep inside the ?Chaupadi? shed in the hills of Legudsen Village at Achham District

Pour les filles, l’exclusion commence dès leurs premières règles et pas de la plus douce des manières. Lors du premier cycle menstruel, les plus jeunes sont bannies de la maison pendant treize jours. La fois d’après pendant sept jours, puis au moins quatre jours chaque mois suivant et ce jusqu’à la ménopause. Une femme est alors obligée de vivre pendant plus de 1700 jours dans sa vie dans une petite cabane en terre ou un abri à bétail pour ne pas déclencher la colère des dieux.

Selon les régions du Népal, les règles du chaupadi se sont assouplies et les femmes peuvent rester dans le foyer mais seulement dans une pièce, appelée baitkak, qui leur est réservée.

Le chaupadi n’est pas qu’un exil géographique, il est aussi social et alimentaire. Les femmes n’ont pas le droit d’approcher les enfants, les hommes, le bétail, les arbres fruitiers ou encore les livres. Elles ne peuvent pas participer à des cérémonies religieuses ou de quelconques fêtes. De plus, elles doivent s’en tenir à un régime alimentaire strict : pas de lait, pas de viande, ni de fruits ou légumes verts. En fait, elles peuvent consommer des aliments secs, des céréales et du riz, qu’elles n’ont pas le droit de cuisiner pour elles-mêmes.

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L’abri plus ou moins rudimentaire qui accueille la femme pendant le chaupadi s’appelle le goth. Il doit se situer à une distance minimale de 20 mètres du foyer le plus proche, ce qui entraîne une marche forcée de plusieurs centaines de mètres pour certaines femmes. Évidement, il n’y a aucun confort et encore moins de garde-manger dans le goth qui peut être une cabane en boue, un simple abri construit en bouses de vaches ou au mieux une petite étable avec un toit et une porte. Pendant l’exil, les femmes doivent lutter contre différentes menaces : le froid, le chaud, la faim, la soif, les animaux sauvages et les hommes. Lorsqu’il fait très froid, les femmes ont le droit d’allumer un feu dans leur abri, mais cela peut s’avérer dangereux, les risques de brûlure et d’asphyxie sont réels et les décès sont nombreux. Pour les prédateurs sexuels, le chaupadi est une aubaine, les femmes sont seules, sans aucune défense, dans des endroits reculés.

Question hygiène, les puits et points d’eau classique sont à bannir pour les femmes en période de menstruation, elles doivent rejoindre des puits qui leurs sont réservés, on les appelle les chaupadi dhara. En général très éloignés, les femmes ne les utilisent que le dernier jour des règles afin de laver leurs vêtements tachés et de prendre un bain avant de rejoindre le foyer. Sans bain « purificateur », il leur est interdit de rentrer chez elles.

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Selon les croyances, si les femmes ne respectent pas le chaupadi, les dieux peuvent se mettre en colère et sanctionner la famille entière en éliminant les troupeaux, les cultures, en asséchant les puits ou encore en ôtant la vie des proches. Si par accident, une femme qui a ses règles touche une personne, alors la victime doit se purifier avec de l’urine de vache.

La tradition s’applique aussi pour les femmes qui viennent d’accoucher, en effet, elles doivent s’isoler pendant onze jours avec leur nourrisson dès l’accouchement terminé. Les conséquences sont terribles pour ces femmes qui ne disposent d’aucun soin médical et d’aucune hygiène…

 Les conséquences du chaupadi au Népal

Si pendant leurs règles, les femmes doivent lutter contre le froid, le chaud, les animaux et les criminels, les femmes les plus vulnérables, comme celles venant d’accoucher, sont souvent victimes de leurs croyances et décèdent au sein même du goth. Par exemple, juste après l’accouchement, le corps d’une femme a besoin de plus ou moins de repos et parfois de soins particuliers. Elles n’ont rien pour éviter la fièvre puerpérale, rien non plus contre les hémorragies ou les prolapsus utérins qui sont des conséquences directes de l’accouchement. Il en est de même pour les nourrissons qui n’ont aucun autre soin que ceux que leurs mères leur prodiguent avec ce qu’elles ont à disposition : du lait maternel, quelques plantes, de l’eau lorsqu’elles ont la force d’aller en chercher.

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Depuis le 09 août 2017, une loi vient renforcer une décision de la Cour suprême du Népal de 2005 qui rend illicite la pratique de chaupadi. En effet, les personnes reconnues coupables d’exclure les femmes du foyer en période menstruelle peuvent encourir une peine de trois mois de prison et une amende de 3000 roupies. Cette loi devrait être applicable dès le mois d’août 2018, mais dès aujourd’hui on peut se rendre compte de la difficulté de son application, du fait de l’idée bien ancrée que les menstruations représentent une souillure, les femmes pratiquent d’elles-mêmes le chaupadi sans autre pression que celle de la tradition. Il ne reste alors qu’une solution, la communication et la sensibilisation…

Photographies de Poulomi Basu

Poulomi Basu est née à Calcutta, en Inde, si le chaupadi n’est pas pratiquée en Inde, pendant les menstruations, les femmes connaissent de nombreux interdits. Poulomi Basu n’a notamment pas pu se rendre au mariage de son frère car elle avait ses règles. L’artiste, journaliste et photographe a décidé de faire un reportage photo au Népal « a ritual of exile » pour montrer la discrimination dont les femmes sont victimes encore au XXIe siècle.

Si tu as aimé cet article et si tu veux encourager cette nouvelle rubrique, tu peux t’abonner au blog et découvrir les articles en avant première sur Tipeee. Tu peux aussi acheter les livres sur du vrai papier. Pour en savoir plus, trois liens (en anglais) New York Times, RestlessBeings, Reuters.

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3 thoughts on “Chaupadi, quand les menstruations effraient le Népal

  1. Bonjour, merci pour cet article très intéressant! J’ai toujours été fascinés par ce type d’organisation qui existe au Népal et ailleurs (tribus d’Amérique du Sud et dans le Pacifique, etc). Bien sur leurs coutumes varient d’un continent à l’autre. On raconte aussi que certaines femmes prennent ce temps de pause pour faire d’autres rites entre elles (rites à mystère sur des aspects de féminins sacrés). Très intéressant! Merci <3

  2. Je valide cette nouvelle rubrique (que je prends le temps de lire avec un mois de retard…). L’histoire n’est pas que le passé, bien au contraire !

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