Jugement (et) arbitraire chez les Romains.

Alors que la vengeance privée tend à disparaître [vu ici], sous l’Antiquité apparaissent les institutions juridiques, ainsi qu’un arsenal de peines plus ou moins cruelles [vu ici]. Récapitulatif pour toi, petit profane du monde juridique :

Délit privé : Un délit privé est un acte qui porte atteinte aux intérêts d’une personne en particulier : une injure, un vol, un membre rompu, un contrat non respecté. Délit public : Un acte qui porte atteinte à la collectivité, aux intérêts publics, à l’État, cette catégorie va s’élargir de plus en plus, dans un premier temps elle ne compte principalement que les actes politiques ; par la suite, l’adultère, le crime du père de famille ou l’incendie d’une récolte seront classés dans les délits publics.

Le début de la République et l’application de la peine par coercitio [ – 509 ]

Jusqu’à la Loi des Douze Tables en -449, la vengeance privée est encore présente et illimitée, c’est pourquoi les délits privés ne nécessitent aucune institution. En revanche, en ce qui concerne les délits publics, l’appareil répressif est dit par coercitio.

Le magistrat, qu’il soit préteur ou consul, dispose du pouvoir de contrainte, c’est pourquoi il peut agir contre le criminel. Lorsque le criminel n’est pas romain, le magistrat n’est pas contrôlé, il peut agir de façon totalement arbitraire, alors qu’en présence d’un criminel citoyen romain, un appel est possible. Si la peine prévue par le magistrat en première instance est la peine de mort et que l’inculpé fait appel, l’affaire sera jugé par des comices centuriates, alors qu’en cas de condamnation pécuniaire ce sera par des comices tributes et la cérémonie est moins solennelle. Faut dire que c’est moins sérieux de payer une amende que de se faire couper la tête.

Une petite image pour te détendre au milieu de cette procédure. Et aussi tu peux comprendre l’influence du droit romain sur le nôtre avec cette carte.

La part d’arbitraire est très importante puisque le magistrat peut choisir la peine qu’il estime la plus adaptée aux circonstances. Ainsi, la volonté devient de plus en plus un critère important pour juger. L’intention de l’auteur commence à être prise en compte, ce qui différencie l’acte intentionnel de l’accident, ainsi que la capacité de l’auteur, d’où l’irresponsabilité de l’impubère ou du fou. Enfin, la société romaine est une société de classes : d’une part les humiliores et les esclaves connaissent les peines les plus pénibles comme le travail forcé dans les mines avec flétrissure, alors que les honestiores sont exilés pour le même crime.

Face à la systématisation de l’appel par les citoyens romains (les autres n’y ont pas droit), la première instance va disparaître et les affaires sont directement jugées par les comices.

L’apparition progressive des Quaestiones [≈-149]

Alors que les délits publics ne sont principalement que politiques, la création d’un nouveau mode de justice pénale les quaestiones perpetuae va aider à l’élargissement du domaine des délits publics.

Les quaestiones perpetuae, qu’est ce que c’est ? Il s’agit d’un jury permanent composé de 50 à 75 juges (sénateurs ou chevaliers tirés au sort le jour de l’audience). Ils statuent en dernier ressort, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de possibilité de faire appel du jugement devant les comices.

Une Vestale punie par un Grand Pontife, elle avait du faire trop de braises.

Chaque jugement correspond désormais à une loi qui s’applique aux situations similaires qui peuvent apparaître au fil du temps. Jusqu’à la fin de la République [-27], des lois vont créer des jurys spéciaux qui seront habilités à juger des cas particuliers pour ainsi fixer une forme procédurale à respecter pour chaque infraction.

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Ex. : en -113, un jury est créé pour juger la violation de la chasteté des Vestales. Tu sais les Vestales, celles qui gardent « chastement » le feu sacré de Vesta.

Alors que pour chaque infraction il existe un jury et une peine déterminée, les membres du jurys ne peuvent pas modifier la peine prévue : soit le délinquant est coupable et la peine appliquée est celle déterminée par la loi, soit le jury acquitte. Il n’y a aucune modification de peine possible, pas de circonstance atténuante et la sentence est irrévocable (Comme dans Koh-Lanta, mais sans les flambeaux).

Les quaetiones  perpetuae ne peuvent prononcer que l’exil, la confiscation des biens et la perte de citoyenneté. Les questiones de majestate en revanche peuvent prononcer la peine capitale pour les crimes de trahison.

Le truc rigolol de la procédure des quaestiones perpetuae : pour lutter contre le coté processif (la tendance à multiplier les procès pour rien) de certains, un système a été mis en place. L’accusateur, s’il fabrique des preuves, en dissimule ou se désiste juste avant le jugement, reçoit la peine qui aurait dû être appliquée à l’accusé s’il avait été coupable. C’est une application particulière de la loi du talion. Tu m’accuses de telles ou telles choses en sachant que c’est faux, tu récupères la peine que j’aurai dû recevoir.

Le début du principat et l’application de la peine par les princeps [-27]

La période du Haut Empire ou du Principat s’étend sur trois siècles  [-27/+284]. À l’issue de la République, le territoire est si vaste que la forme républicaine de gouvernement ne suffit plus. La République laisse alors place à l’Empire. A cette période, les Empereurs légitimés par le Sénat se font rares, certains instaureront des régimes autoritaires, d’autres des régimes de terreur. Ainsi la justice publique va se retrouver entre les mains de l’Empereur qui va déléguer à des fonctionnaires. Les quaestiones vont disparaître et on voit ainsi renaître l’ancienne coertitio, à la différence que les magistrats ne sont plus contrôlés par les comices qui ne sont pas recréées. C’est le règne de l’arbitraire. Les sénatus-consultes énoncent quelques peines que les magistrats devront respecter dans certains cas, mais l’Empereur peut décider de mettre en place une procédure extraordinaire, la cognitio extraordinaria, c’est le cas lors des flagrants-délits ou encore de la récidive. Il est donc difficile d’empêcher l’arbitraire.

Ainsi, au fil de ces trois périodes, il est possible de constater une évolution dans le jugement. Dans un premier temps, les Romains tentent de faire régner la justice aux dépens de l’arbitraire. Avec les quaestiones, si la peine ne peut être individualisée, elle est égalitaire entre les individus, ce qui n’est pas signe de justice, mais on apprécie l’intention.

Enfin, sous l’Empire, l’arbitraire est remis au goût du jour ; tout ne se fait pas dans le respect de tout le monde hein, surtout lorsqu’il s’agit de régime autoritaire. Mais ça, pas besoin d’explorer le passé pour s’en rendre compte.

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