Lee Miller, la photographe des camps de l’horreur

Lee Miller est une célèbre photographe et modèle américaine. Aussi à l’aise devant que derrière l’objectif, sa notoriété s’est construite avec ses clichés de la Seconde Guerre mondiale ; camp de Buchenwald, Débarquement, Résistance… Découvrez ses œuvres, sa vie.

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Pour des raisons de bienveillance, les photos pouvant heurter les sensibilités se trouvent dans les liens en rouge uniquement.

Une enfance sous les projecteurs pour Lee Miller

Lee Miller est née le 23 avril 1907 aux États-Unis. Son père, Théodore Miller est photographe amateur et il conduit très vite sa fille à poser pour lui. Dès son plus jeune âge, Lee Miller est une jolie petite fille et les premiers clichés sont très beaux. En revanche, son père, au comportement envahissant et un poil chelou, photographie sa fille nue lorsqu’elle est adolescente. C’est déplacé. De plus, la petite fille a été victime d’agression sexuelle lorsqu’elle avait 7 ans par un ami de la famille, alors dès qu’elle en a l’occasion, elle fuit le domicile parental.

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

A l’âge de 17 ans, elle est contactée par la maison Condé Nast et elle va devenir une célèbre modèle pour le magazine Vogue américain. Le photographe en chef est Edward Steichen, il propose à Lee Miller de poser pour lui et en contre partie, il lui apprend les bases de la photographie de studio et de la lumière artificielle. Peu de temps après, Lee Miller décide de partir apprendre le métier de photographe en France, où elle rencontre le célèbre Man Ray. Avec lui, elle va conquérir Paris !

 Les années folles, Lee Miller une Américaine à Paris

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

En 1929, Lee Miller arrive à Paris et avec l’aide de son amant mais aussi formateur, Man Ray, elle ouvre son propre studio photo et met les pieds dans le monde de la mode. Man Ray ne peut pas répondre à toutes les commandes (notamment pour Vogue France), alors il conduit les modèles vers le studio de Lee Miller, et il n’hésite pas à la conseiller, à lui apprendre des choses. En échange de cet apprentissage, les photos de Lee Miller sont signées de Man Ray. Ouais, c’est dégueulasse quand même. En revanche, c’est ensemble qu’ils vont créer le principe de solarisation des clichés.

Alors que Lee Miller travaille dans la chambre noire de Man Ray, elle oublie la présence d’une dizaine de négatifs de Mlle Solidor et allume la lumière. Aïe. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle prévient Man Ray (qui devient un peu cinglé) et ensemble ils essaient de plonger les négatifs dans le révélateur. Foutus pour foutus, autant essayer des trucs… De toute façon, Mlle Solidor a quitté Paris et il est impossible de faire une nouvelle séance photo. Le résultat est une grande surprise pour les deux photographes. On constate un inversement partiel des blancs et des noirs. Ça leur plaît beaucoup. Exemple.

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Accompagnée de Man Ray, Lee Miller fait connaissance avec le milieu du surréalisme, elle rencontre de grands artistes comme Paul Eluard, Picasso, Jean Cocteau et Max Ernst. Lee Miller pose notamment plusieurs fois pour Picasso (c’est ressemblant, non ?) et inversement, de nombreux portraits de Picasso ont été pris par Lee Miller.

La vie d’artiste de Lee Miller

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

En 1932, l’artiste décide de quitter Man Ray et Paris pour retourner vivre aux Etats-Unis. Elle s’associe avec Eric Miller, son petit frère, et ouvre un nouveau studio photo. La même année, Lee Miller voit ses clichés exposés pour la première fois dans une galerie. C’est un succès pour la photographe. Au même moment, elle rencontre Aziz Eloui Bey, un homme d’affaire égyptien qu’elle épouse. Avec lui elle va s’installer au Caire. Elle aime travailler en pleine nature, dans le désert et sur des sites archéologiques. Une de ses plus célèbres photographies a été prise en Égypte, Portrait of Space. Finalement, le sable c’est cool mais pas autant que le mouvement surréaliste en Europe, alors en 1937, elle retourne à Paris et rencontre l’écrivain Roland Penrose. Il va rapidement devenir son amant. Le couple s’installe à Londres juste avant la Seconde Guerre mondiale.

 Lee Miller, correspondante de guerre pour Vogue

En 1940, la célèbre photographe travaille pour Vogue à Londres. En 1942, on lui demande de réaliser différents reportages photographiques pour le magazine, Lee Miller devient alors correspondante de guerre. Dans un premier temps, on lui demande de faire des photos de mode de guerre, c’est un peu con, mais l’idée est d’éduquer les femmes à la guerre. C’est vrai, il se passe un véritable bouleversement dans la société, les hommes sont au front, les femmes doivent prendre le relais dans les champs mais aussi dans les différentes industries de guerre.

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Le magazine encourage les femmes et montre quelle tenue porter à l’usine… Mais ce n’est pas tout, elle fait des campagnes d’information sur les risques au travail, la nouvelle pauvreté, les tickets de rationnement. Il est nécessaire d’informer et ça passe par les magazines féminins. C’est un peu les coulisses de la guerre. Faut dire qu’on lui interdit d’aller sur les zones de combat car : c’est une femme. Les choses changent à partir de 1944, désormais Lee Miller doit aller sur le terrain, elle suit l’armée américaine sur le continent européen depuis le débarquement. Elle est à Saint-Malo. En août 1944, elle est en France avec la 83eme division américaine. Elle prend de nombreux clichés des conflits. Lee Miller est une des premières photographes à fournir des clichés des camps de concentration et extermination à leur libération ; c’est le cas de Buchenwald et de Dachau.

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Les photos sont un véritable choc : des hommes affamés, épuisés, des blessés, des cadavres par dizaines… mais aussi la Résistance française, l’épuration, les femmes tondues… Lorsqu’elle envoie les photos à Vogue, on demande à Lee Miller de bien vouloir attester par écrit que ses photos sont authentiques. On n’y croit pas. Robert Capa publie au même moment des photos similaires. Alors c’est bien vrai ? Eh oui…

La photo dans la baignoire d’Hitler

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Le 30 avril 1945, Lee Miller est accompagnée du photographe David E. Scherman, le correspondant de guerre du magazine Life. Ils ont passé la journée ensemble à Dachau (bonne ambiance…) et ils vont à Munich pour photographier l’appartement d’Hitler, ils y restent plusieurs jours. Et là, on ne sait pas ce qu’il leur passe dans la tête mais Lee Miller se fait couler un bain dans la baignoire du Führer et Scherman prend un cliché complément surréaliste. Chaussures devant la baignoire, uniforme jeté sur un tabouret, un cadre d’Hitler sur le rebord de la baignoire… Évidement, ce n’est pas une photo spontanée mais bien une mise en scène, il n’y a pas de doute là-dessus. Mais pourquoi ? Elle voulait se laver des horreurs de Dachau. Lee Miller raconte son séjour dans l’appartement d’Hitler :

« Je vivais dans l’appartement privé d’Hitler quand sa mort a été annoncée, minuit de Mayday … Eh bien, il était mort.Il ne m’avait jamais réussi jusqu’à aujourd’hui. Il avait été un monstre de la machine du mal pendant toutes ces années, jusqu’à ce que je vis les lieux qu’il a rendus célèbres, a parlé à des gens qui le connaissaient, a creusé dans les commérages de l’arrière-scène et a mangé et dormi dans sa maison. Il est devenu moins fabuleux et donc plus terrible, avec une petite preuve qu’il a des habitudes presque humaines; Comme un singe qui vous embarrasse et humblement avec ses gestes, qui se reflète dans la caricature. « Là, mais pour la grâce de Dieu, marche moi. »

«L’endroit était en parfait état. L’électricité et l’eau chaude fonctionnaient. Il y avait même un réfrigérateur électrique. Il n’était pas suffisamment vide pour être « loué » en l’état, mais un quart d’heure de ménage pour dépoussiérer les tasses aurait suffit pour le mettre à disposition d’un nouveau locataire à qui la présence de draps et de vaisselle marqués « A.H. » ne gênerait pas».

Il existe un deuxième cliché dans la baignoire.

Après la guerre, la descente aux enfers de Lee Miller

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Si Lee Miller a parcouru l’Europe à la recherche de clichés pour illustrer la guerre et ses monstruosités, elle n’en est pas sortie indemne. Lee Miller a 40 ans et elle souffre de stress post-traumatique, ce qu’on appelle l’obusite durant la Première Guerre mondiale. La célèbre photographe sombre dans la dépression et l’alcool, en 1949, elle rentre en Angleterre et épouse son compagnon Roland Penrose. Ils ont ensemble un garçon, Anthony, mais jamais l’artiste ne retrouve une paix intérieure. Elle abandonne progressivement la photographie, bien que Vogue lui passe régulièrement commande. Elle décède en 1977 d’un cancer.

Photographe et féministe engagée

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© Lee Miller Archives, England 2017. All rights reserved.

Si les photographies les plus célèbres de Lee Miller représentent des hommes, la majorité de ses clichés sont consacrés aux femmes. L’artiste souhaite mettre en valeur les ambitions féminines de l’époque, elle photographie les infirmières américaines à Oxfordshire, les femmes tondues, les françaises de la Résistance, ou encore cette pilote d’avion, Anna Leska. Le tout en jonglant avec les codes de la mode, du surréalisme, du photojournalisme et du reportage de guerre. Pour rendre hommage à son travail, j’ai décidé de n’afficher que des clichés de femmes dans cet article (les hommes se trouvent dans les liens).

Si cet article t’a appris plein de choses, n’hésite pas à le partager mais aussi à soutenir le blog sur Tipeee ! A lire sur le sujet : Lee Miller, dans l’oeil de l’Histoire, une photographe.

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13 thoughts on “Lee Miller, la photographe des camps de l’horreur

  1. Pingback: Dans la baignoire | La Labyrinthèque

  2. Extraordinaire ….ces révélations …ces photos de Leé Miller si peu connue.merci

  3. Pingback: Ces rêves qu’on piétine – Sébastien Spitzer – La bibliothèque de Lilly McNocann

  4. Les photos sont d’une beauté aussi intense que la douleur évoquée : douleur des êtres surpris ou posant devant l’objectif mais également douleur de la géniale et courageuse photographe. Merci

  5. Heureusement que les photographies de Lee Miller sont là pour témoigner …

    Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série intitulée « Enfant de parents» sur la présence des camps en France pendant la seconde guerre mondiale. C’est un sujet totalement méconnu, voire occulté par les français en général. N’oublions pas les camps français premier jalon vers les camps nazis !

    A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html
    Mais aussi : https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html

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