La vie quotidienne dans un bordel 1830-1930

Après la lecture de Laure Adler, les maisons closes de 1830 à 1930 et de nombreux documents Gallica (notamment 12 ), j’ai décidé de vous faire découvrir l’univers des bordels. Bin oui. Les putes n’ont pas toujours été sur le trottoir, certaines avaient le luxe (?) de tailler des pipes sur des draps parfois propres, souvent non. Comme tous les commerces, il en existe des classes et propres, et puis des dégueulasses qu’on peut qualifier de taudis. Les filles n’avaient pas la même qualité de vie dans les uns et les autres, mais d’une manière générale, ça se passait toujours de la même façon… Voici, la vie d’une fille de joie dans une maison close, du levé au couché. Ou presque.

Les liens en rose sont des photographies de cartes postales érotiques de la même époque.

 Les prostituées

Qui sont ces filles ? Pourquoi sont-elles là ? Y restent-elles ? Sont-elles toutes majeures ? Tant de questions. Toutes les filles présentes dans des bordels ne sont pas des filles de putain, sans père et sans argent. Pas du tout. Pas majoritairement en tout cas. Il y a des filles de professeurs, d’ouvriers, de marchands ambulants, mais aussi de modistes, blanchisseuses ou rentières. La majorité des meufs a perdu sa virginité ailleurs que dans un bordel, genre, dans les bras (façon de parler) d’un jeune et vaillant jeune homme. Les parents ont pas trop kiffé, impossible à marier, la fille est partie. Pas facile de trouver un job quand on a seulement fait quelques mois d’apprentissage… Alors on trouve une solution : la maison close. C’est pas forcément facile d’y rentrer. Il faut répondre à certains critères, genre : être bonne, jolie, entre 21 et 25 ans et d’un naturel plutôt agréable.

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Les tenancières recherchent des filles différentes pour leur maison, bin oui, il en faut pour tout le monde. Aussi, certains critères sont récurrents : la grande blonde, fine, aux yeux clairs et aux nichons bien fermes, on l’appelle l’Hollandaise. La brune, au regard sombre, c’est la Juive, ou encore la Tunisienne. S’il y a les deux, c’est encore mieux. Une fille avec un léger handicap, elle boite, il lui manque un doigt ou est borgne, certains hommes en sont friands. Bien sur, il faut aussi la Vierge. Des airs innocents, une paire de fesses rebondies et les cheveux dociles. Il y a aussi des mineures, elles jouent souvent le rôle de la Vierge. On les paie un peu plus cher. Parce que parfois l’homme aime l’idée de coucher avec une jeunette à l’hymen intact. En vérité, je peux vous dire qu’elles en ont déjà déroulé du câble…Mais il faut aussi la négresse, la petite grosse, ou encore la fille détestable. Celle qui fait bander les hommes parce qu’elle donne des ordres. La meuf qui marche le mieux est la Brune aux yeux clairs et à la peau délicate. La Blonde, si elle n’a pas de particularité physique est considérée comme fade.

Il faut de tout pour faire un bordel, et on trouve toutes sortes de filles.

Ça tombe bien toutes ces meufs on les trouve, partout. Dans les maisons closes en ville, on y trouve toujours plus de choix qu’à la campagne. C’est comme comparer un Franprix et un Carrefour.

La vie quotidienne

Les journées dans les bordels ont des rythmes bien précis et la vie est commune à toutes. Laure Adler compare la vie dans un bordel à la vie des couventines, mais c’est pas la messe qui est obligatoire.

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Le réveil a lieu sur les coups de dix ou onze heures le matin. C’est plutôt tranquille, elles se lèvent en pyjama (de longues chemises de coton ou de soie) et vont déjeuner à une table commune. Ça discute, ça se chamaille pour une tartine et peut-être que ça compare les tailles des bites de la nuit précédente. Et ça parle de l’argent qu’elles ont gagné et de l’espoir de bientôt quitter ce lieu !

Ensuite, les filles peuvent avoir différentes activités, mais toujours dans la maison, elles tricotent, crochètent, certaines savent lire et font la lecture aux autres.

Vers 15h30, il va être temps de commencer à se préparer, une douche, des crèmes, des onguents et autres produits pour le corps et maquillage en tous genres.

A 16h, le coiffeur arrive ! C’est un grand moment. Ça coûte une blinde. En fait la tenancière paie la coiffure, mais les meufs doivent ajouter pour des postiches ou des trucs un peu travaillés. Ensuite, les filles vont s’habiller et à 18h, c’est l’heure du second repas. Lorsque les filles sont mal nourries, elles peuvent se plaindre au bureau des mœurs, et il arrive que la maison ferme. Mais généralement, c’est copieux, riche, varié, et il y a de la picole. Bin oui, faut les stimuler les petites (et surtout faut les garder). Ça picole, ça picole et puis sur les coups de 21h faut être en place. Les premiers clients peuvent arriver…

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D’une manière générale, les filles sont gentilles et agréables entre elles. D’ailleurs, il arrive même que certaines couchent entre elles. J’te dis pas l’embrouille quand ensuite, elles doivent partir avec des mecs, surtout les réguliers. Règlements de compte dans le dortoir. Super ambiance. On les appelle les tribades. Les lesbiennes quoi.

 Le bordel et l’argent

Si des nanas s’enferment dans une maison pour coucher avec des hommes qu’elles ne désirent pas nécessairement, c’est pas pour la gloire. Non. C’est pour le fric. Elles veulent en gagner, beaucoup, pour rembourser leurs dettes à la tenancière et pour pouvoir partir, vivre une vie normale. Mais.. HAHAHAHAHA, ça ne marche pas du tout comme ça. Bin non. La tenancière aussi veut se faire du fric, alors c’est un peu l’histoire des vases communicants, si le fric est entre les mains des filles, il n’est pas dans celles de la maquerelle. Alors elle s’organise pour se faire plein de pognon et ne rien laisser aux prostituées.

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Le système est bien rodé. Pour rentrer dans une maison, il y a deux cas : Tu viens d’une autre maison et la nouvelle tenancière t’as racheté à l’ancienne et tu lui dois du fric. Ou alors, tu es nouvelle, fraîche, t’y connais que dalle, alors la tenancière t’endette en te vendant des fringues, du maquillage et des bijoux pour pouvoir t’installer dans sa maison. A partir de là, tu es prisonnière. La maquerelle te fait payer la pension, la blanchisserie, et même la picole. Mais t’as pas le choix que de picoler. Alors tout le fric que tu gagnes, tu le reverses à la maison. Dès que tu veux une fringue, tu paies 70 francs une robe qui en coûte 10 en magasin. Pareil pour une paire de jarretières, 35 francs au bordel, 6 en magasin. Tu la vois l’arnaque ? Mais tu en sais rien, tu ne peux pas tellement sortir. Sauf lors des balades à la campagne avec la maquerelle et les autres prostituées. D’ailleurs, on te fait payer les frais de déplacement aussi…

Lorsque les hommes entrent dans la maison, ils donnent de l’argent à l’entrée, en échange de jetons. Ensuite, le jeton est donné à la fille choisie, qui le place dans une coupelle qui lui est réservée. Plus elle a de jetons, plus elle a fait de passes. La passe varie entre 3F à la campagne, 6 en ville, et 20 lorsqu’un homme demande à faire sortir une fille de la maison… Même sur 20F, la fille ne touche rien, car elle doit s’acheter une nouvelle robe, avoir une coiffure convenable… Bref, c’est le piège. Le seul moyen pour elle de sortir est qu’un homme tombe fou amoureux, qu’il rachète ses dettes auprès de la maison… Mais en général, les hommes ne viennent pas pour tomber amoureux…

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Je vous raconte dans un prochain article, la nuit des filles dans les bordels… Voici un aperçu… Attention, ça pique

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8 thoughts on “La vie quotidienne dans un bordel 1830-1930

  1. Peu d’historiens ont écrit sur ce sujet, mais on peut conseiller « Les Maisons closes autrefois », de Brigitte Rochelandet. Cet ouvrage a notamment le mérite de ne pas limiter son regard au 19e siècle, comme tant d’autres.

  2. Merci pour cet article ! Il y a également un angle de vue peu connu qui permet d’aborder la question des maisons closes notamment via l’aspect vie matérielle, à savoir celui de l’archéologie. On y trouve pas mal de choses intéressantes ; par exemple, pour rebondir sur l’aspect luxueux, la plupart des établissements avaient un decorum qui correspondait à une « couche sociale » au-dessus de celle dont venait les prostituées, ce qui accentuait encore plus cet endettement. Historical Archaeology y a consacré tout un numéro en 2005 (http://www.jstor.org/stable/25617241?seq=1#page_scan_tab_contents), notamment par rapport aux fouilles de Five Points, le « quartier rouge » de New York au XIXe.

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