Les ingénieurs du caca (ce n’est pas un article sale).

Bonjour les Internets, aujourd’hui un billet un peu spécial. Explications:

Un beau jour, @peccadille blogueuse -et pas des moindres- m’a proposé de faire des billets croisés. Bon, moi j’ai pas tout bien compris (n’oublions pas que je suis restée bloquée en 1817 en terme de technologie et de l’internet) mais j’ai accepté. Et, sous vos yeux ébahis, voici le premier article. Enfin, LES DEUX PREMIERS ARTICLES sur le thème des excréments. Oui, bon. On aurait pu avoir un thème plus alléchant, mais ça s’est trouvé comme ça. Si ma camarade de jeu vous parle des latrines publiques à Paris, moi je vous cause de ce qui se passe dans l’espace privé. Aujourd’hui cloisonnées entre quatre murs, les toilettes font partie intégrante de votre appartement/maison/villa de rêve. Qu’en était il avant ?

Le XIXème siècle est une période riche en innovations et transformations, et en particulier dans le domaine de l’assainissement de la ville. Et il était grand temps.

Paris est devenu le laboratoire de toutes ces innovations, la ville en  avait bien besoin. Oh oui. Si aujourd’hui, tu as de drôles de surprises en fréquentant les toilettes publiques et tu refuses de lécher les barres de métro, avant c’était pire. Genre vraiment.

les ingénieurs du caca

Avant les grands aménagements du XIXème siècle, l’eau pluviale se mêlait à l’eau ménagère. Devant ta porte, ça puait le chou pourri et tout ceci s’écoulait dans les caniveaux, puis les ruisseaux pour enfin se déverser dans la Seine. Enfin, ça c’est au mieux. Au pire, l’eau pluviale -mélangée à tes épluchures de pommes de terre, tes excréments et ton voisin mort- stagnait devant ta porte. Les parisiens y étaient habitués, comme maintenant ils le sont à passer des heures entassés dans le métro. Ça pue, ok, mais tant pis. Personne ne s’inquiétait des dangers pour la santé.

Chevallier, Labarraque et Parent-Duchatelet inventent la fosse fixe

Francois Ier en 1539 fait passer un édit capital. Désormais les excréments doivent rester à l’intérieur, chez toi, pour ne pas déranger le passant -éventuellement noble- qui passe devant chez toi. Super, donc maintenant, ca pue la merde dans ta seule pièce à vivre. En revanche l’urine peut toujours  être déversée dans les rues, ça se voit moins dans l’eau.

Est alors créée une nouvelle corporation, celle des vidangeurs. Ce sont les « maitres Fi-fi » (du latin fimus qui signifie fumier) qui viennent vider ta fosse d’aisance. Les « maitres Fi-Fi » emportent tout en périphérie de la ville, dans une décharge. Tu peux facilement imaginer le truc. Une fosse fétide, pleine, débordante. Pour te dire, c’est tellement dégueulasse que les vidangeurs finissent par perdre la vue, et leur état de santé général est touché. On trouve jusqu’à 17 variétés de plomb dans ces fosses.

« Le resserrement du gosier, des cris involontaires et quelques fois modulés, ce qui fait dire aux ouvrier que le plomb les fait chanter… »

Du coup, c’est pas trop rigolo d’y travailler, mais la ville est propre… enfin, presque.

Les fosses d’aisance, dans l’idée, c’est bien. Le problème c’est qu’elles ne sont pas forcément trop trop bien étanches, ça pollue le sol. Dans ton sol, il y a de l’eau. L’eau tu la bois. Tu finis par boire ton caca, en somme.

Payen et Dalmont, ingénieurs en fosse mobile

En 1835, deux hygiénistes Payen et Dalmont inventent un appareil super. La fosse mobile sépare les matières liquides et solides, les deux se déversant dans des tonneaux différents. C’est mieux pour les vidangeurs qui ne sont plus en contact avec les excréments. Ils remplacent le tonneau plein par un tonneau vide. C’est super. Mais on va faire encore mieux.

.Les ingénieurs vont mettre en place un réseau d’égouts dans les galeries souterraines de la ville. C’est l’apparition des bouches d’égouts. Tu fais relier  directement tes latrines à l’égout et tu vas verser directement les restes de ta soupe moisie dans la bouche d’égout. A partir de 1856 ce système est OBLIGATOIRE à Paris. Ni vu ni connu, tes épluchures de patates et l’odeur de chou ne restent pas devant ta porte.

Haussmann au service des égouts

Les fosses fixes d’aisance deviennent l’homme à abattre (je sais, ca veut rien dire, mais c’est l’idée), c’est un nid à maladie, et personne veut choper le choléra. Haussmann va mettre les moyens pour ne pas que la ville de Paris soit infectée. C’est la révolution de l’eau. Les fosses (reliées à l’égout) doivent être inondées, c’est l’invention de la chasse d’eau. Liquéfiés, les excréments ne peuvent pas s’accrocher sur les parois, les obstruer et permettre le développement des maladies. Tout va directement dans la Seine. Bon, c’est un autre problème.  A partir de 1875, il est impératif d’assainir la Seine.

Ah ma douce, nous sommes si bien en compagnie de cygnes et d’excréments.

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15 thoughts on “Les ingénieurs du caca (ce n’est pas un article sale).

  1. Pire encore, avec des WC foutus en haut des tours, on ne savait jamais ce qui pouvait nous tomber sur la tête il y a quelques siècles. Et je ne parle pas bien sûr de la fiente de pigeon.

  2. Bonjour, merci de ce blog. En tant que curieuse et ex-chimiste, je ne comprends pas les 17 variétés de plomb dans les fosses servant à collecter les excréments. Une infinie quantité de bactéries surement, de l’ammoniaque aussi mais je ne comprends pas le plomb et ses 17 variétés. Merci

    • Bonjour, et merci pour votre commentaire. En tant que nulle en chimie je ne peux pas vous répondre. J’ai trouvé l’information dans ce livre : Le logement insalubre et l’hygiénisation de la vie quotidienne : Paris (1830-1990) d’Elsbeth Kalff.

      Je vais peut être dire une ENORME bêtise, je prends le risque. Avant le XIXème siècle, plusieurs éléments ne pouvaient ils pas être appelés « plomb » parce que s’en rapprochant dans la composition ? (Je prends le risque d’être vraiment ridicule) Aussi l’auteur du livre aurait peut être utilisé l’ancienne appellation. En vrai j’en sais rien du tout, mais je réfléchis à une réponse possible.

      • Éventuellement une autre interprétation : il pourrait s’agir de sels de plombs divers.

        Pour certains, ce serait logique, par exemple l’acétate de plomb (II) qui a pu servir comme édulcorant dans le vin à certaines époques, ou encore comme désherbant. Le blanc de céruse servait aux cosmétiques ; le minium (rouge) a aussi traîné à divers endroits, dont le maquillage et les anti-rouilles.

        Mais dans ce cas, 17 sels différents ça fait quand même pas mal. Et tant qu’on ne nous dit pas en quelles quantités, ça ne veut pas dire grand-chose.

        Il faudrait savoir si ça a été mesuré à l’époque, avec les moyens et définitions de l’époque, estimé récemment, sans accès à une vraie fosse d’époque, ou mesuré aujourd’hui, dans une fosse d’époque qui aurait été retrouvée (et dans quel état).

        On pourrait aussi ajouter les différents alliages contenant du plomb, mais j’ai plus de mal à voir comment ils se seraient retrouvés là.

    • C’est intéressant. Vous avez calculé la masse de sciure nécessaire pour alimenter 10 millions d’habitants en toilettes sèches? ça fait combien de camions par jour? Faut raser combien de forêts? C’est compatible avec une exploitation raisonnée?

      • Et la masse de nourriture pour alimenter 10 millions d’habitants ? Le problème que vous posez est celui de Babylone, pas celui des toilettes sèches.

  3. Bonjour à tous , j’ai trouvé la réponse à vos quetions concernant « Les plomb »
    En effet à l’état naturel il n’est jamais à l’état pur. Mais on l’extrait sous sous forme
    de minerais associésau zinc, à l’argent au cuivre et surtout sous formr de Galène et aussi PbCO3, Pb SO4 etc

    Donc aprés extraction , à la fonderie en le chauffant on obtient le « plomb d’oeuvre »qui contient encore des impuretés et qui doit donc être raffiné
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Plomb#M.C3.A9tallurgie

  4. De nos jours la santé des égoutiers est aussi importante que l’hygiène des usagers. C’est pourquoi, il est (en principe) interdit aux égoutiers de rajouter aux effluents leurs « propres » matières.

  5. Pingback: L’art et la Révolution, portraits des condamnés | Raconte moi l'Histoire

  6. Sabine Barles, L’invention des déchets urbains : 1790-1970, 2005.
    http://perso.univ-mlv.fr/www-ltmu/livresresumes/BARLESdechet.pdf

    Un livre très intéressant sur la gestion des déchets urbains d’un point de vue économique. Les excréments servent d’engrais (pour Paris, je pense que la Beauce en a bien profité), ils fertilisent le sol (par rapport à ce qui a été dit, je pense que c’est la tuyauterie qui apporte le plomb, je ne vois pas d’où il pourrait venir sinon …).
    Le courant hygiéniste de la fin du XIXe- début XXe milite pour la massification de la chasse d’eau qui s’impose dans les années 30 je suppose, jusqu’alors c’est la fosse sceptique (1881) qui faisait l’approbation générale.

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